Pourquoi les banques françaises n'ont pas intérêt à rapatrier précipitamment leurs activités londoniennes
Avec le vote en faveur du Brexit, les grandes banques françaises s'interrogent sur la nécessité (ou pas) de rapatrier tout ou partie de leurs activités basées à Londres, que ce soient les activités liées au trading euro ou bien celles dépendantes du système de passporting européen. Pourtant, si les pouvoirs publics et les institutionnels multiplient les initiatives pour essayer d'attirer les financiers en poste à la City, de leur côté les patrons des grandes banques ne semblent pas pressés d'agir.
« Il n’y a pas de raisons pour que nous (banques françaises, ndlr), on se précipite » pour revoir nos implantations, a ainsi indiqué au lendemain des résultats du vote Frédéric Oudéa, président de la Fédération des Banques Françaises (FFB) et directeur général de la Société Générale. Alors pour quelles raisons les banques d'ordinaire si réactives ont décidé cette fois-ci de jouer la carte de la prudence ? Voici quelques raisons qui peuvent l'expliquer...
L'exode n'est pas pour tout de suite
Lors des dernières rencontres financières internationales de Paris Europlace, au cours d'une session plénière intitulée « Europe : Nouvelles perspectives post-référendum de la Grande-Bretagne », Samir Assaf, le patron de HSBC, s'est exprimé sur l'éventualité d'un transfert des activités de la banque sino-britannique hors de Londres.« Nous y réfléchisssons mais nous ne prendrons pas de décisions rapides », a-t-il ainsi indiqué. Le wait and see semble donc être le mot d'ordre parmi les dirigeants des banques actives à Londres qui sont en pleine réfléxion sur leur stratégie.
Pour ce faire, elles n'hésitent pas à s'offrir les services de ceux qu'elles estiment les mieux placés. Tel est le cas pour Goldman Sachs avec la nomination de l'ancien président de la commission européenne José-Manuel Barroso comme président non exécutif. « José Manuel va apporter une analyse et une expérience immense à Goldman Sachs, et notamment une profonde compréhension de l'Europe », ont déclaré dans un communiqué les dirigeants de Goldman Sachs International. Surtout, il est loin d'être le seul à conseiller les banques sur le Brexit.
Enfin, quatre banques d'investissement et non des moindres (Goldman Sachs, JPMorgan, Morgan Stanley et Bank of America-Merrill Lynch) ont signé une déclaration dans laquelle elles s’engagent à soutenir la City qu'elles considèrent comme un « hub global pour le renminbi, la roupie, la finance islamique, la finance verte, tout comme un leader sur les nouveaux marchés comme celui de les FinTech. ». Comme quoi les liens entre les bulge brackets et la City sont bien plus forts qu'ils n'y paraissent.
Le rapatriement du trading euro, une fausse bonne idée ?
Actuellement, près de 45% du trading euro se fait à partir de Londres. Oui, vous avez bien lu : 45%. Un paradoxe que certains n'hésitent pas à dénoncer publiquement. « Cette sorte d’anomalie offshore ne peut pas résister à une sortie du Royaume-Uni de l’UE », relève ainsi Stéphane Boujnah, directeur général d’Euronext et ancien patron de Santander France. Sur ce sujet, les politiques ont rapidement emboîté le pas aux institutionnels. Le président François Hollande appelle lui aussi les places européennes à « se préparer » à accueillir les activités en euro actuellement hébergées à la City.
Sauf que ce pourrait être une erreur pour les banques françaises que de rapatrier toutes leurs activités en euros basés à Londres. « La zone euro a un intérêt à maintenir une partie de sa finance à Londres », explique Nathalie Janson, professeur associé d’Economie à la Neoma Business School dans une interview vidéo donnée à L'Agefi. « Lorsqu’on retire de l’activité financière sur une place fortement intégrée, on morcelle et on augmente les coûts de transaction ». Et d'ajouter que quand la place financière de Londres perd de l'activité, c’est souvent au profit de places non européennes.
Ne pas enterrer trop vite le passeport européen
« Côté client, il est évident que des réflexions démarrent sur la relocalisation de certaines équipes liées notamment à la perte du passeport européen pour les sociétés de gestion de la City », note Delphine Dubreuil, associée au sein du cabinet de chasse Singer & Hamilton. Mais là aussi la précipitation ne devrait pas être de mise et les banques ainsi que leurs filiales de gestion d'actifs devraient attendre d'en savoir plus sur le résultat des négociations à venir.
Certes, le Royaume-Uni aura intérêt à négocier le maintien du passeport européen mais l’issue des discussions reste incertaine, surtout que des pays comme la France n'ont pas intérêt à maintenir les choses en l'état. Selon Paris Europlace, le Royaume-Uni doit perdre le bénéfice du passeport européen pour l’accès aux marchés financiers. Toutefois, à défaut d'un accord, « le Royaume-Uni pourrait très bien imiter la Norvège ou la Suisse qui disposent d’un statut hybride concernant le passporting européen », rappelle Thibaut Verbiest, Avocat associé chez De Gaulle Fleurance et Associés. Affaire à suivre de près donc...
Déménager prend du temps... et coûte cher
Si transfert d’équipes il y a, combien de temps cela devrait prendre ? Plusieurs mois, plusieurs années ? « Au-delà de la réaction rapide des marchés, les décideurs avec qui j’échange affichent une attitude plutôt flegmatique. Je partage leur avis sur la longue durée que prendra ce rééquilibrage, mais je perçois chez certains une volonté de préparer dès maintenant des stratégies pour réagir vite si la situation l’exige », confie Olivier Coustaing, associé au sein du cabinet de chasse de têtes Managers by Alexander Hughes Paris.
Il y a cependant une donnée à prendre en compte pour les banques qui seraient candidates au départ : déménager entraîne des frais importants. Selon le cabinet conseil Synecron, le fait de déplacer ne serait-ce que 20% de leurs effectifs vers une autre place financière européenne coûterait aux banques installées à Londres la bagatelle... de 1 milliard d'euros ! (soit un coût moyen de 60.000 euros par employé). Bref, de quoi faire réflechir les banques à deux fois avant de prendre la décision de demander à leurs employés de faire leurs valises.
Enfin, partir oui, mais où ?
Evidemment, grande serait la tentation pour les banques installées dans l'Hexagone de rapatrier leurs activités en France. « Paris est clairement dans le peloton de tête pour tirer profit de la situation », fait remarquer Olivier Coustaing. Mais à supposer qu'un établissement bancaire de premier plan basé à la City annonce dans les semaines ou les mois à venir qu'il va déménager tout ou partie de ses équipes vers une autre place financière européenne et qu'il soit imité par d'autres, le choix de rester en France ferait-il encore sens ?
D'autant plus que les concurrentes à la place de Paris ont elles aussi de sérieux arguments à faire valoir. Il y a bien sûr Francfort, Luxembourg ou bien Amsterdam. Sans oublier Dublin, avec pour atouts « la langue et une approche réglementaire et fiscale attractive », selon Alexandre Linden, senior director Asset Finance & Securitisation chez BNP Paribas (Londres). Et l'on ne parle là que des places européennes...
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