Panorama des perspectives d'emploi en finance dans le contexte post-Brexit
CFA Society France organisait mercredi soir dans les locaux parisiens de l'ESCP la 7ème édition de son Annual Career Event autour des dynamiques du marché du travail dans le secteur financier à la fois pour les détenteurs de la certification CFA et pour les jeunes diplômés de l'ESCP qui s'orientent vers les métiers de l'investissement.
Un panel d'experts réuni pour l'occasion a permis de dresser le panorama actuel des perspectives d'emploi en finance et de mieux comprendre les transformations actuelles des carrières financières, tant pour les étudiants et jeunes diplômés, le middle management et les profils seniors, à travers les différents points de vue d'academiques, de chasseurs de têtes junior et senior ainsi que d''une consultante en transition professionnelle.
Depuis le Brexit, l'attentisme prévaut...
Des juniors aux seniors en passant par les profils intermédiaires, tout le monde est concerné par le ralentissement des recrutements. « Nous observons une tension assez marquée depuis quelques mois. Depuis le vote en faveur du Brexit, les grandes banques d'investissement londoniennes recrutent moins, et cela vaut pour les summer internships qui pourraient passer de 2.500 cette année à 500 l'an prochain », fait ainsi remarquer Philippe-Hugues Thomas, professeur de Finance à ESCP Europe et directeur scientifique du Master Spécialisé Finance à Paris et à Londres.
« Dans la banque et les services financiers, nous constatons chez nos clients de nombreuses incertitudes liées à des éléments macro-économiques comme le Brexit ou bien encore les prochaines élections présidentielles en France », explique pour sa part Lydie Riquier, manager exécutif de la division Michael Page Financial Services et qui intervient essentiellement sur des recrutements de profils middle-management. « Conséquence : il y a peu de recrutements et moins de rotation naturelle chez les candidats déjà en poste ».
« Les recrutements ont été très actifs sur la période comprise entre fin 2010 jusqu'à l'été 2016 », observe enfin Odile Couvert, fondatrice du cabinet Amadeo Executive Search spécialisé dans le recrutement de profils seniors (7-10 ans d'expérience minimum) dans les services financiers, banque d'investissement et marchés financiers. « Le Brexit a stoppé net cette dynamique ». Les intervenants sont unanimes pour dire que cet attentisme post-Brexit devrait durer environ deux ans.
… ce qui n'empêche pas la poursuite des recrutements
Surtout, il n'y a pas que la place financière de Londres à être concernée. A Paris, les recrutements en banque d'investissement ont eux aussi diminué, même si certains segments (ex : métiers buy-side) se sont montrés plus actifs que d'autres (ex : métiers de flux), rappelle Philippe-Hugues Thomas. De son côté, Odile Couvert observe que les recrutements ont diminué à Londres, mais également Paris, Francfort et même Genève (pourtant hors zone UE), où l'attentisme prévaut. Seules les places financières de Luxembourg et Amsterdam connaissent un léger frétillement.
Mais attention : ralentissement ne signifie pas arrêt des recrutements. « Des embauches continuent d'avoir lieu en banque d'investissement, pour des postes de gérants sur toutes classes d'actifs (taux), de vendeurs, marketeurs et brokers, ainsi que dans le coverage concernant la partie banque de financement », indique la fondatrice d'Amadeo Executive Search. « Les banques, désireuses de combler un certain retard dans le domaine de la réglementation, ont beaucoup recruté l'an dernier et continuent de le faire cette année même si les offres se sont un peu tassées », explique pour sa part Lydie Riquier.
La recruteuse de Michael Page observe également des recrutements en banque dans les métiers liés au digital et à l'innovation, de même que dans les fintechs, dont les fondateurs – souvent d'anciens banquiers - recherchent des compétences complémentaires techniques et commerciales auprès de profils juniors (25-30 ans). Il y aurait par ailleurs déjà beaucoup de recrutements en cours chez Orange Bank qui sera lancée au premier semestre 2017.
Se reconvertir, pas si simple...
Du fait de l'attentisme observé en matière de recrutement, grande est la tentation pour celles et ceux qui craignent de perdre leur emploi (ou l'ont déjà perdu) de chercher à se reconvertir en attendant que le marché reprenne des couleurs. Plus facile à dire qu'à faire. « Nous constatons chez d'anciens banquiers de grandes banques d'investissement un véritable attachement métier et une vraie fierté d'appartenance », explique Sylvie Petit, directrice associée au sein de la Practice Banque chez Oasys Consulting où elle accompagne des cadres supérieurs et des dirigeants de banque (front-office, M&A, corporate banking, opérations, compliance) dans leur évolution ou transition de carrière.
S'il arrive que certains mettent le cap vers l'international comme ce directeur des opérations parti mener des missions d'offshoring en Inde, assez peu de candidats se portent volontaires à l'expatriation. « Un DRH de banque nous a indiqué qu'à l'occasion d'un plan de reclassement interne, il n'y avait pas beaucoup de volontaires pour partir vers Londres », relate Sylvie Petit qui avance entre autres explications que vers 35-40 ans, il y a beaucoup de divorcés qui ne veulent pas s'éloigner de leurs enfants.
Les freins à la reconversion
Le salaire peut aussi en dissuader certains de franchir le pas. On parle souvent des possibilités de reconversion du corporate banking vers la direction financière de grands groupes. « Il y a un vrai problème en terme d'écart de rémunération, si bien qu'au final nous n'observons que très peu de reconversions dans ce domaine », poursuit Sylvie Petit. Et notre experte en transition de carrière d'ajouter qu'il existe deux freins majeurs : une trop longue ancienneté (25-30 ans d'expérience) qui fait que certaines personnes qui n'ont pas cherché d'emploi depuis longtemps auront du mal à en trouver un rapidement, sans même parler du regard des autres qui se demandent pourquoi vous vous retrouvez sans emploi à cet âge-là...
L'autre frein concerne les experts très introvertis qui ne se sont jamais véritablement projetés dans une démarche active de networking. « Il est plus facile de retrouver du travail pour ceux qui ont travaillé dans des fonctions commerciales », indique à ce sujet Sylvie Petit. Cela dit, il n'est jamais trop tard pour bien faire. « Efforcez-vous de manger à la cantine avec des personnes autres que vos collègues de bureau et programmez au moins une fois par semaine un déjeuner avec une personne extérieure à l'entreprise », conseille Myram Ferran, CFA présidente de CFA Society France et modératrice de la table ronde.
Mieux vaut travailler coûte que coûte
Si aucun secteur ne vous convient, il vous reste à créer votre entreprise. « 20% des cadres financiers que nous accompagnons l'on fait », note la directrice associée d'Oasys Consulting. « Ce peut être pour les profils juniors des créations d'entreprises en lien avec le digital ou pour les profils plus seniors des structures de conseil auprès d'anciens clients ». A ce sujet, beaucoup de reconversions ont lieu en gestion de patrimoine : on ne compte plus le nombre d'anciens banquiers qui ces dernières années se sont inscrits au fameux DU Expert en gestion de patrimoine à Clermont-Ferrand
D'autres enfin, pour qui l'aspect rémunération n'est pas l'élément essentiel, entendent bien donner libre cours à leur passion, comme cet ancien banquier M&A qui a lancé une plate-forme en ligne d'oeuvres d'arts. Et même en cas d'échec, rien ne vous empêchera par la suite de revenir dans le secteur bancaire avec à votre actif une réalisation concrète que vous pourrez valoriser dans votre CV. Car vous l'aurez compris, le plus important est de rester sur le marché de l'emploi, quitte à accepter de revoir momentanément vos prétentions à la baisse. En guise de conclusion, retenez que la patience paie toujours. « Tout le monde finit tôt ou tard par retrouver un emploi », conclut Syvie Petit. Alors, Brexit ou pas Brexit, à vous de jouer....
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