Votre job en finance bientôt occupé par un data scientist ?
Du fait de la mutation digitale de l’industrie financière, la finance n’a pas échappé à la déferlante du Big Data et les métiers financiers ont désormais grand besoin de talents inédits. « Data scientists, chief digital officers, évangélistes apparaissent dans les organisations et comptent parmi les profils les plus prisés », rappelle Philippe Mudry, directeur des rédactions L’Agefi, à l'occasion d'une conférence organisée ce mois-ci et dédiée au thème Big Data & Finance 2016.
« Du fast trading au smart trading, l’intelligence artificielle au service des marchés financiers bat son plein et les salles de marché sont désormais peuplées de nouveaux profils, informaticiens, ingénieurs en télécommunications et mathématiciens », fait pour sa part remarquer Soraya Haquani, chef de rubrique carrières à L’Agefi Hebdo qui animait à cette occasion une table ronde sur le sujet.
Ce qui peut être une bonne nouvelle pour ces nouveaux talents l'est par contre peut-être un peu moins pour les financiers déjà en poste. Vont-ils devoir progressivement céder leur place aux data scientists et autres mathématiciens, ou bien le cas échéant suivre des formations pour sauver leur peau ? En tout cas, le Big Data n'impacte pas aujoud'hui tous les métiers financiers de la même façon.
Des métiers inégalement impactés
La data science semble s’imposer petit à petit dans les milieux financiers même si certains domaines résistent encore. « Le degré d’appropriation de la data science par les acteurs financiers est très hétérogène. La réglementation très forte imposée aux milieux financiers pousse à la prudence », fait remarquer Louis Boulanger, data scientist à l'institut Louis Bachelier, dans une tribune intitulée Les data scientists sont-ils l’avenir de la finance ?
Et d'expliquer que les assureurs, baignant historiquement dans les données et dont le business model repose sur la bonne modélisation des risques faite par ses actuaires, se sont lancés très tôt dans ce domaine. « En 2014, AXA recherchait déjà plusieurs centaines de data scientists pour consolider ses équipes d’actuaires en plus des reconversions internes », précise-t-il. D'après lui, le déploiement de la data science dans le milieu bancaire est encore limité même si l’intérêt est présent, notamment dans la banque de détail. Les marchés financiers sont, eux, plus dubitatifs. Le côté « boîte noire » que peuvent avoir les algorithmes prédictifs les rebutent. Ce scepticisme est particulièrement vrai en asset management même s’il a tendance à diminuer.
Quant à la finance d'entreprise, elle semble être en première ligne si l'on se réfère à une récente étude du cabinet d'audit et de conseil 'EY menée auprès de 769 directeurs administratifs et financiers (DAF) et qui montre que 47% d'entre eux se disent inquiets de ne pas disposer des compétences internes qui s'imposent. « Le besoin de compétences purement comptables va progressivement se réduire au profit de nouveaux métiers », commente Sabine Bechelani, associée chez EY. « Le reporting digital, l'automatisation de certains process ou l'analyse prédictive vont obliger les directions financières à recruter des mathématiciens ou des data scientists ».
Les recruteurs sur le qui-vive
D'ores et déjà, les recruteurs se sont positionnés sur le segment, comme c'est le cas de Jonathan Del Hoyo qui, après un début de carrière en analyse quantitative, a décidé de créer le site de recrutement de data scientists datasama.com. Les cabinets de recrutement généralistes ont eux aussi pris toute la mesure de ce bouleversement à venir. Preuve en est, le métier de data scientist a été sacré 'Job en Or' 2016-2017 par le cabinet Robert Half. « Ce poste est en or pour deux raisons : la première c’est que la compréhension des clients est devenue essentielle, la data étant l’une des clés de voûte de demain pour la pérennité des business models ». explique Christophe de Bueil, Manager de Robert Half Digital.
Et d'ajouter : « Il est aujourd’hui assez rare de dénicher des profils capables à la fois d’analyser du déclaratif et du comportemental (profil de type Dataminer) ; et également de mettre en perspectives ces résultats pour des prises de décisions Marketing et/ ou Business (profil de type Consultant CRM / etc.). Le Data Scientist est dans l’idéal à la croisée de ces deux chemins ».
Concernant par exemple Louis Boulanger, notre data scientist de l'institut Louis Bachelier, c'est avec une double formation d’école d’ingénieurs (Supélec) et de commerce (ESCP Europe et Dauphine) qu'il s'est ensuite naturellement tourné vers deux domaines mettant à profit ses connaissances : les data science et la finance quantitative.
Et si vous décidiez de vous former ?
Mais au fait, savez-vous comment devient-on data scientist ? « Dans l’idéal, il s’agira d’une formation de type statistique ou économétrie (Master MIAGE, ENSAI…) avec une première expérience réussie chez un Pure Player », répond Christophe de Bueil. « On peut aussi imaginer un parcours de type business school, mais le profil aura une affinité très forte avec les chiffres, sa valeur ajoutée étant avant tout sa capacité à mettre ses analyses en perspective sur des enjeux business. Dans ce cas, ce profil aura idéalement débuté chez un cabinet spécialisé de type fifty-five ».
Chaque année, les écoles et universités françaises forment désormais environ 300 data scientists. Mais le système éducatif a mis du temps à s’adapter à cette nouvelle demande. C’est pour cela que la plupart des data scientists ont un background de statisticien, d’ingénieur des signaux ou encore d’analyste quantitatif. « Rares sont les entreprises qui anticipent les besoins en formation, en reclassement ou les enjeux sociaux liés à cette question », confirme l'associé EY. Si vous êtes en poste, c'est donc peut-être le moment de convaincre votre employeur de vous financer une formation de data science...
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