Comment expliquer la ruée des banquiers français vers Hong Kong ?
Il y a eu beaucoup de suppressions d'emplois cette année à Hong Kong et les coûteux banquiers expatriés ont acheté des billets d'avion en aller simple pour retourner chez eux. Mais visiblement personne n'a expliqué cela aux professionnels français de la finance qui continuent de débarquer en masse à Hong Kong. Selon les estimations du consulat français, ils seraient environ entre 18.000 à 20.000 ressortissants français.
Plus significativement, la population française a augmenté de 5% en cinq ans jusqu'en 2015, soit le taux le plus élevé de tous les contingents expatriés. Les expatriés français avec qui nous nous sommes entretenus à Hong Kong disent que le secteur financier figure parmi les industries connaissant la plus grande flambée de nouvelles arrivées de 'Gaulois'.
« Au cours des 18 derniers mois, j'ai parlé à plus de Français ici à Hong Kong que depuis que j'ai quitté Paris il y a 14 ans », indique Alex Medana, directeur général du cabinet conseil FinFabrik basé à Hong Kong et ancien vice-president chez Deutsche Bank. « La situation d'aujourd'hui en France me rappelle celle de 2002 : guère d'opportunités autres que le travail temporaire, des tensions sociales, des impôts élevés, des difficultés d'établissement des entreprises et des perspectives politiques et économiques incertaines », poursuit-il.
Mais les financiers français affluent à Hong Kong pour des raisons essentiellement positives. « L'un des plus grands atouts est la facilité d'y vivre et d'y travailler », reconnaît Laurence Fauchon, ancienne analyste quantitative chez BNP Paribas, aujourd'hui COO de la fintech Smart Alpha. « La ville est très pratique et extrêmement sécurisée, ce qui est important lorsque l'on élève une famille », précise Laurence Fauchon, qui est arrivée à Hong Kong avec son mari banquier en 2008. « Vous pouvez à la fois concilier votre travail et votre vie privée sans trop de difficultés ».
Mais comment un grand nombre de Français ont-ils réussi à trouver un job dans la finance à Hong Kong à l'heure où les grandes banques présentes sur place réduisent les emplois et relocalisent le peu d'étrangers travaillant pour elles ?
Beaucoup de Français se retrouvent au sein de BNP, Société Générale et d'autres banques françaises, qui (toutes proportions gardées) ont davantage recours aux transferts internationaux que la plupart de leurs concurrentes européennes et américaines. « C'est une règle non écrite - qui parfois s'applique à des niveaux très seniors - que vous devez parler français pour travailler dans une banque française », indique Alex Medana. « Cela signifie que beaucoup de leurs postes à Hong Kong sont pourvus par du personnel français ».
« Les banques françaises restent également attachées aux marchés asiatiques, alors même que d'autres acteurs mondiaux se désengagent de la région », précise Laurence Fauchon. « Hong Kong fait l'objet de l'attention des banques françaises, car la ville est un carrefour naturel pour l'Asie – et la région connaît la croissance la plus rapide au monde. Les banques françaises semblent prêtes et disposées à délocaliser des personnes à Hong Kong ».
Des financiers français très prisés...
Les professionnels français de la finance n'ont pas seulement la cote auprès des banques françaises. Ils ont tendance à se spécialiser dans les métiers les plus techniques - analytique quantitative et dérivés en particulier - qui sont à court d'approvisionnement local et ne nécessitent pas de compétences linguistiques chinoises. « Le grand nombre de Français en mathématiques financières découle du fait que le système scolaire français est relativement concentré sur les mathématiques et les statistiques », explique Laurence Fauchon.
« Hong Kong est avant tout un centre financier tourné vers les Actions et les Français sont particulièrement forts dans les dérivés actions – les warrants sont une invention française, par exemple - grâce à la suprématie des mathématiques dans l'enseignement français », relève pour sa part Alex Medana. « Les réseaux d'anciens élèves des grandes écoles françaises de commerce et d'ingénieurs offrent également des opportunités à Hong Kong ».
Laurence Fauchon fait observer que les expatriés français à Hong Kong sont de plus en plus jeunes. « Il y a encore quelques années, c'étaient surtout des professionnels expérimentés qui venaient, mais à présent le nombre de jeunes diplômés qui arrivent ici est en constante augmentation ».
La France figure parmi les 11 pays à avoir signé un accord avec Hong-Kong pour un programme de Working Holiday Scheme permettant aux 18-30 ans de travailler sur le territoire pendant un an. Cela permet aux jeunes professionnels de la finance à Hong Kong de trouver plus facilement un job et éventuellement à terme de sécuriser l'obtention d'un visa pour les postes permanents.
Un paradis... ou presque
Hong Kong n'est pas toujours la destination paradisiaque à laquelle s'attendent les professionnels français de la finance. Il est difficile de décrocher un poste en front-office dans la banque d'investissement du fait que l'industrie locale devient de plus en plus dépendante des réseaux de clients chinois. Par ailleurs, les Français déplorent les coûts de location d'appartements excessivement élevés et qui ont contribué à faire de Hong Kong l'une des villes les plus chères du monde pour les expatriés dans un classement de juin dernier.
Alex Medana cite également la pollution de l'air, qui figure parmi les principales préoccupations des expatriés, les poussant à quitter Hong Kong surpeuplée pour les banlieues et les villages dans les îles périphériques et les nouveaux territoires. « Le fait qu'il soit possible de vivre près des montagnes et de l'océan contribue à relativiser les aspects négatifs de Hong Kong », ajoute-t-il. « Et si nous regardons nos revenus nets par rapport aux dépenses, globalement la plupart des Français sont mieux ici. Et en tant qu'entrepreneur, je suis en mesure de construire une entreprise durable d'une manière que je n'aurais pas pu le faire en Europe ».
Et les Hongkongais, comment vivent-ils l'invasion d'expatriés financiers français ? « Une minorité d'entre eux les considèrent comme des êtres arrogants et le leur font sentir », explique un banquier local devenu chasseur de têtes. « Mais dans la plupart des cas, ils sont plutôt accueillants et considèrent que c 'est une bonne chose pour le secteur financier que Hong Kong attire plus de Français ayant la réputation d'être techniquement très qualifiés ».
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