Pourquoi j'ai vite été blasé par ma carrière de quant à Londres…
Jakob Aungiers a 26 ans, et il sait ce que c’est de travailler comme analyste quantitatif en finance. Responsable développement quantitatif et technologie pour un nouveau projet de visualisation à la gestion d’actifs de HSBC à Londres, il occupe exactement le type de poste en finance quantitative que visent la plupart des quants branchés techno. Il a même été auparavant quant developer chez Schroders. Deux postes où il s’est imposé comme un pionnier de l’utilisation du fameux machine learning pour analyser les signaux du marché et déduire la signification des mégadonnées. Faire mieux que la validation de modèle, quoi de plus valorisant pour un quant ?
Malgré ce tableau quasi idyllique, Jakob Aungiers a décidé de partir. Il quitte HSBC. Il quitte la finance. Il tourne le dos à la vie de de développeur quantitatif en banque, quoiqu’il ne renonce pas complètement au machine learning.
« Je ne veux pas passer le restant de mes jours à me dire que je pourrais être ailleurs, en train d’innover, de créer quelque chose qui pourrait faire une vraie différence dans le monde », explique-t-il. « Et à l’instant où je vous parle, j’ai le sentiment d’en être bien loin. »
Jakob Aungiers a effectué vendredi son dernier jour de quant en finance. Première étape après son départ : l’aéroport - direction Bali, pour décompresser. A terme, il espère s’installer en Australie, où il envisage de travailler, faire du surf et du parachute : « j’adorerais m’installer à Sydney. C’est une ville magnifique, avec de superbes espaces et une activité extérieure complètement dingue. Tout le monde se lève tôt, fait du jogging et tout ce qui peut contribuer à rester en forme. C’est un super mode de vie. »
De fait, le problème d’Aungiers tient autant à Londres qu’à la finance. Il trouve la ville sombre et peu propice à un mode de vie sain : « Londres est une centrale de béton. C’est très bien pour plein de choses, tant qu’il est question de boire un verre à un moment ou à un autre. Mais pour qui est un tant soit peu attiré par les activités en extérieur, elle n’a pas grand-chose à offrir. » Alors qu’il y a, au Royaume-Uni, d’autres villes plus agréables à vivre comme Bristol par exemple, poursuit-il. « Ailleurs dans le monde, il y a Sydney, ou Melbourne, ou encore Barcelone, qui toutes offrent les avantages de la ville et de la mer. Tout ce qui intéresse les gens à Londres, c’est de travailler pour s’éclater à la fin de la semaine ; le week-end, tout le monde sort, envahit les bars et les restaurants, dépense des sommes folles, et retourne travailler le lundi pour recommencer la même routine en vue du week-end suivant. »
Bien évidemment, le Brexit n’y est pas étranger non plus. Jakob Aungiers, né de parents tchèques, a grandi en Angleterre. Il espère à terme pouvoir lancer sa propre affaire en vendant des solutions machine learning à des clients qui ne peuvent pas développer la leur. Mais, à l’approche du Brexit, il avoue avoir vu l’argent du capital-risque de Londres siphonné par les investisseurs européens inquiets : « cela va devenir beaucoup plus difficile de monter une boîte ici qu’auparavant ».
Monter sa boîte, c’est ce que Jakob Aungiers veut, blasé qu’il est des grandes banques et de la haute finance, et plus généralement du monde des grandes entreprises – et de son propre aveu, il n’est pas le seul : « tous les établissements financiers pour lesquels j’ai travaillé à Londres servent tous le même baratin et la même culture bureaucratique. Il y a peu de place pour l’innovation, et ceux qui s’investissent en sa faveur se retrouvent bloqués tous les quatre matins. » Il indique d’ailleurs qu’un tiers de son équipe est parti cette année ; et certains collègues qui ont pu discuter avec la crème des étudiants en informatique lors d’événements dédiés aux jeunes diplômés ont trouvé que peu d’entre eux aspiraient à travailler dans la banque : « la vie d’entreprise attire de moins en moins de gens de ma génération ».
Tout le monde ne souscrit pas à la décision d’Aungiers de tout envoyer balader. Il confie : « ma famille me prend pour un dingue – avec un job comme le mien, c’est de la folie de partir ». Dans le même temps, il avoue une certaine appréhension : « je flippe complètement, mais si je ne le fais pas, j’aurai toujours l’impression de vivre en me demandant ce qui serait arrivé si…Je veux vivre la vie à laquelle j’aspire vraiment. »