Diplômé de Polytechnique et pourtant mal traité
Quand il était CEO de Credit Suisse, Tidjane Thiam avait la réputation d’être un fin politique : ce diplômé de Polytechnique s’entourait de ses fidèles – beaucoup d’ex-McKinsey comme lui, et parlait apparemment français afin de préserver le mystère auprès ses collègues ne parlant qu’anglais alors qu’il réduisait les activités de marché. Après avoir survécu à un putsch militaire pendant son enfance, il semblait passé maître dans l’art de la survie. Être sur la défensive semblait lui convenir. « Peu m’importe d’être impopulaire, » déclara-t-il un jour au Wall Street Journal à son arrivée en 2015, faisant remarquer qu’il avait été « extrêmement sollicité » et « extrêmement critiqué » dans son précédent poste chez Prudential.
Sept mois après son départ de Credit Suisse à la suite du scandale d’espionnage, ce portrait est remis en lumière sous un prisme différent par le New York Times. Dans un long article exposant ce qui s’est réellement passé chez Credit Suisse pour cet homme « farouchement discret », élevé par une mère perfectionniste, adepte du « ne mens pas, sois ponctuel, ne dis pas de gros mots, sois solidaire, » tout comportement maladroit de sa part apparaît aujourd’hui justifié par certains chez Credit Suisse dans le contexte du pire.
Le NYT revient en toute objectivité sur la soirée organisée pour les 60 ans d’Urs Rohner, président du conseil d’administration de Credit Suisse : sur scène, un comédien noir habillé en concierge, dansait sur la musique tout en balayant le sol. Tidjane Thiam et quelques autres invités ont alors quitté la pièce ; à son retour, un groupe d’amis de Rohner, affublés de perruques afro, lui avaient succédé.
Le portrait que le NYT dresse de Thiam est celui du seul noir à la tête d’une banque, et de l’un des rares salariés noirs de Credit Suisse à Zurich : aucun autre collègue de couleur n’avait été convié à la soirée de Rohner. Tidjane Thiam était devenu visible, et critiqué aussi, du fait de ses origines : il avait arrêté de venir travailler en Porsche de peur que d’éventuelles altercations avec d’autres automobilistes ne fassent les choux gras de la presse zurichoise ; ses fils, adultes, étaient sous le feu des ragots quand ils sortaient dans les discothèques locales et étaient souvent les seuls passagers noirs dans le tram, et toujours les premiers dont on contrôlait les billets ; lors d’une réunion d’actionnaires en 2016, quelqu’un lui a demandé si la banque voulait être dirigée par un CEO du « tiers-monde ».
Dans ce contexte, les objections de Tidjane Thiam à l’acquisition par Iqbal Khan, ce junior de Credit Suisse, d’une maison voisine de la sienne, sont compréhensibles : la proximité et la vue plongeante sur son propre domicile constituaient à son sens une menace pour sa vie privée. Bien qu’originaire du Pakistan, Iqbal Khan était arrivé en Suisse durant son enfance – il se sentait donc chez lui à Zurich, et était à ce titre accepté par la bonne société locale.
Tidjane Thiam a quitté Credit Suisse en février 2020, au début de la pandémie. Son remplacement par Thomas Gottstein, banquier suisse et vétéran de Credit Suisse, est peut-être révélateur. Les mois qui ont suivi ne l’ont pas épargné : son fils aîné est décédé d’un cancer en mai, et Thiam n’a pas rejoint d’autre banque, pas plus qu’il ne s’est engagé en politique en Côte d’Ivoire comme d’aucuns l’attendaient. Au lieu de cela, il est depuis l’un des envoyés spéciaux aidant à lutter contre coronavirus en Afrique. Quoi qu’il fasse par la suite, il aura marqué Credit Suisse par son passage. « Je suis qui je suis, » a-t-il déclaré en quittant la banque. « De la même façon que je suis né avec une main droite, je ne peux que rester droitier. Si les gens n’aiment pas les droitiers, alors oui, c’est compliqué pour moi. C’est tout ce que je peux dire, parce que je ne peux pas devenir gaucher. »
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