Les banques continueront d'adopter l'open source en 2021
Les banques d’investissement et les hedge funds sont généralement des structures plutôt secrètes, gardant sur la concurrence Il suffit pour s’en convaincre de brancher sa clé USB sur un ordinateur portable d’entreprise, ou d’envoyer un fichier par courriel à votre adresse mail personnelle pour voir en combien de temps une équipe composée de professionnels de la conformité, de la tech et des RH peut débouler à votre bureau – ou de nos jours en réunion Zoom. On attend de vous que vous gardiez tous les secrets, même après votre départ. Les clauses de confidentialité font partie du jeu, et les hedge funds sont nombreux à imposer des clauses de non-concurrence particulièrement longues.
L’histoire démontre que les établissements financiers sont très prompts à se pourvoir en justice si nécessaire pour protéger leurs secrets, et certains vont même plus loin : en 2009, Goldman Sachs a fait arrêter et emprisonner un ex-employé accusé d’avoir volé son logiciel propriétaire. De quoi donc être largement surpris d’apprendre que Goldman a récemment publié Legend, son nouveau langage propriétaire sous forme open source.
En réalité, il est assez fréquent que les établissements financiers publient des logiciels en accès libre ou contribuent à des projets open source en cours. Bien évidemment pas dans les mêmes proportions que de purs acteurs de la tech, comme Google qui liste 70 projets open source dont Android, le système d’exploitation à la base de 75% des smartphones. Mais banques et hedge funds sont nombreux à avoir des projets open source actifs.
Sans surprise, les fonds quantitatifs sont encore plus susceptibles de s’impliquer dans l’open source. Pandas, la bibliothèque principale de données python a été développée par le hedge fund AQR. Le fonds AHL, mon ancien employeur basé à Londres, dispose également de plusieurs bibliothèques open source. Two Sigma, un autre fonds, a huit projets open source en cours et contribue à plusieurs autres.
En sell-side, Goldman s’essaie à l’open source. Il y a actuellement 16 projets listés sur sa page publique GitHub, mais le magnifiquement dénommé Legend est d’une tout autre ampleur. JPMorgan et Morgan Stanley sont également présents en open source.
Mais alors pourquoi ces établissements, qui protègent d’ordinaire si jalousement leurs secrets, sont-ils aussi ouverts à lâcher leurs codes sources dans la nature ? Le logiciel open source présente de nombreux avantages pour des entreprises de moindre envergure, et non des moindres : il leur apporte sur un plateau une armée de testeurs du secteur à zéro frais. Mais les géants de la finance disposent d’équipes complètes de développeurs et de hordes de testeurs logiciels.
Plusieurs raisons peuvent pousser une entreprise à mettre son logiciel en accès libre, et tout dépend essentiellement du type de projet publié.
Bon nombre de ces projets se rangent dans la catégorie ‘outils pratiques’ plus que logique essentielle à l’activité commerciale. Ces outils sont généralement utiles, sans toutefois contenir aucune ‘recette secrète’ susceptible de donner à d’autres le moindre avantage concurrentiel. Par exemple, les projets open source du hedge fund Man Group contiennent un visualiseur pour les données pandas, et un outil pour l’industrialisation des ordinateurs portables Jupyter – outil prisé des data scientists. Tous deux sont très utiles pour qui travaille sur des données en python, mais quasiment sans code de trading stratégique top secret.
Il n’y a donc quasiment aucun inconvénient à publier un tel code en accès libre, contre une multitude d’avantages. D’abord, c’est une excellente opération marketing. Annoncer haut et fort un projet open source est une excellente façon de se faire voir, même s’il est peu probable que Goldman Sachs, la plus connue et aussi la plus tristement célèbre des banques d’investissement, souffre d’un quelconque déficit de notoriété.
C’est aussi bon signe : une banque prête à rendre son code public gratuitement ne peut pas être si mauvaise, non ? Bien sûr, peu de clients potentiels iront consulter la page GitHub d’une banque avant de signer. Mais les employés potentiels seront nombreux à le faire. Les meilleurs diplômés en informatique réfléchissant aux opportunités d’emploi verront d’un bon œil les entreprises avec une présence open source. Tout comme les développeurs les plus expérimentés en tech, susceptibles de rejoindre la finance, seront confortés dans leur choix s’ils savent qu’ils peuvent continuer à contribuer à l’open source.
De fait, un certain nombre de projets open source sont explicitement conçus dans une optique de recrutement, comme le Battleships game de Morgan Stanley ou le Crazy Cricket de BlackRock.
Cela dit, l’open source ne se limite pas à quelques outils dont l’utilité n’est plus à démontrer ou à des jeux à visée de recrutement. Il s’agit aussi de créer des normes communes. Si de nombreuses entreprises d’un secteur donné utilisent le même logiciel, ou du moins une API commune, il devient plus facile de s’échanger les données entre elles. Cela facilite le travail des banques et des fonds avec les fournisseurs de données (comme les échanges), mais aussi avec leurs propres clients et leurs concurrents. Le projet Legend fait indubitablement partie de cette catégorie. FINOS, la fondation Fintech Open Source, sponsorise Legend ; et a parallèlement plusieurs autres projets intersectoriels d’envergure.
Ces types de projets sont particulièrement courants dans la communauté blockchain dont l’open source constitue l’ADN (le protocole blockchain à la base des cryptomonnaies comme Bitcoin est lui-même open source et ne pourrait fonctionner autrement).
Même s’il paraît pour le moins curieux de faciliter à des concurrents l’utilisation d’une plateforme commune, cela présente au moins un avantage. Si vous êtes le premier à bouger dans le cadre d’une initiative globale visant un secteur donné, alors vous êtes en position idéale pour contrôler la norme. Bien que tout un chacun puisse contribuer à un projet open source sous forme de ‘pull-requests’, il n’en reste pas moins qu’elles doivent être approuvées par le porteur du projet.
Bien sûr, il arrive parfois de ne pas avoir le choix en matière d’open source, en particulier en cas de pressions externes sous forme d’exigences légales ou émises par un régulateur. Par exemple, l’initiative d’open banking au Royaume-Uni est un programme gouvernemental visant à renforcer la compétitivité des start-ups fintech face aux banques traditionnelles, en rendant accessibles leurs données clients.
Il semble probable que nous verrons de plus en plus de projets financiers open source à l’avenir. Mais si vous attendez que quelqu’un publie ses stratégies de trading secrètes sur GitHub, je ne me fais pas d’illusions.
Robert Carver est un ancien responsable fixed income du hedge fund quantitatif AHL ; il est aussi l’auteur de ‘Leveraged Trading’, ‘Systematic Trading’ et ‘Smart Portfolios’. Il utilise maintenant un système automatisé écrit en Python pour son activité de prop’trading, qu’il a rendu public sous forme de librairie open source.
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