« Si je n’aimais pas ce job, j’aurais laissé tomber depuis longtemps »
Elena Agosti sait parfaitement ce que c’est que d’être une femme en salle des marchés dans les grandes banques américaines. Après un début de carrière chez Morgan Stanley à Londres, elle est passée par Goldman Sachs, puis JPMorgan. À son retour en Italie en 2020, elle travaille d’abord pour Unicredit. Elle rejoint ensuite le bureau de Nomura à Milan en août dernier. Managing director responsable du trading SSA (souverains, supranationaux et agences étatiques) de Nomura en Europe, elle préside maintenant aux destinées d’un ensemble rare : une équipe de trading 100% féminine.
Elena Agosti raconte que cette configuration tient plus de l’accident de parcours que d’un réel dessein. À son arrivée, Nomura comptait deux tradeuses au desk SSA. Une autre est venue de l’extérieur, puis encore une autre, mutée en interne. Elles ont de grandes ambitions : « Nomura a le potentiel pour devenir leader dans cette activité, » ajoute Elena Agosti. « C’est un grand projet, et une équipe entièrement féminine. »
Pour elle, travailler avec des tradeuses peut créer une dynamique différente. « D’après mon expérience de tradeuse, les femmes réfléchissent beaucoup, et c’est utile sur ce marché, » indique-t-elle. « En général, les femmes sont plus prudentes et plus détachées. » D’où l’utilité en salle des marchés lorsque l’excitation est à son comble.
Elena Agosti elle-même est arrivée en trading après avoir été embauchée par une femme qui lui avait dit : « vous avez une grande confiance en vous et vous êtes pragmatique, et vous êtes intelligente, vous devriez être tradeuse. » - « Je me suis dit ‘ok, je vais essayer,’ » confie-t-elle. Elle n’accorde aucune importance au genre quand elle recrute : « j’embauche des gens parce qu’ils sont les meilleurs – c’est la seule chose qui m’intéresse chez eux. »
Dans son équipe actuelle, Elena Agosti déclare ne jamais parler des enfants ou des engagements extra-professionnels. Elle ne sait même pas si ses collègues ont des enfants. Toutes les discussions tournent autour des marchés. « On se parle beaucoup et il y a un échange continu d’informations professionnelles. On n’a pas peur de débattre de nos points de vue ou de dire ce qu’on pense. »
Elena Agosti n’est pas issue d’une famille de la finance ; sa mère était professeure. Mais pour elle, le trading est la carrière la plus intéressante pour tous, quel que soit leur genre. « Pour rire, on dit parfois que ce n’est pas un job mais une mission. Chaque jour, le trader quel qu’il soit prend des risques, en mettant en avant ses convictions et ses opinions, et assure la tenue de marché pour les clients. On peut se tromper sur toute la ligne ou avoir tout bon. Quand on a tout bon, ça fait du bien. Et quand on se trompe, on passe à la transaction suivante. »
Les traders ne font autant d’heures que les banquiers d’investissement, mais les journées de dix heures restent la norme. « Si je n’aimais pas ce job, j’aurais laissé tomber depuis longtemps, » déclare Elena Agosti. « C’est un boulot super-dynamique et très difficile, mais je n’en changerais pour rien au monde. »
En trading, la réussite n’a rien à voir avec le genre, poursuit-elle. Les femmes peuvent s’en sortir aussi bien que les hommes, et elles ne devraient pas se laisser décourager par la caricature des salles de marchés comme des environnements 100% masculins. « Tout est question d’attentes, » dit-elle. « Une salle des marchés est un endroit où les gens gagnent et perdent de l’’argent. Il y aura des jours où l’ambiance sera plombée. Il y aura des jours où les clients seront sympas, d’autres pas sympas du tout. Les émotions sont amplifiées et peuvent nous dépasser, mais si on en est conscient dès le départ, c’est vraiment un lieu propre à l’épanouissement et à la réussite. »