Un banquier allemand très en vue admet la préférence de ses collègues pour Paris
Cela paraît presque difficile à croire aujourd’hui, mais le temps n’est pas si lointain où beaucoup de gens voyaient en Francfort la destination européenne naturelle pour prendre la succession de Londres après l’entrée en vigueur du Brexit. Derrière elle, on parlait aussi d’Amsterdam (avec ces excellents centres de données et réseaux télécoms) et de Dublin (anglophone, régime fiscal très favorable).
Paris était sur la table, en particulier pour celles et ceux qui pensaient que l’objectif premier d’un centre financier est de disposer de bons restaurants pour les banquiers et de belles opportunités de shopping pour leurs moitiés, mais on la prenait bien moins au sérieux. Elle semblait un peu trop régulée, trop isolée, trop française pour attirer les acteurs mondiaux de Wall Street.
Oui mais voilà, on sait maintenant ce qui s’est passé : JPMorgan, Goldman Sachs, Morgan Stanley et Bank of America ont toutes installé leurs principaux hubs de vente et trading dans la Ville Lumière. Et maintenant, face à l’inévitable, même le fleuron allemand Deutsche Bank vient d’amorcer la relocalisation de son desk flow credit trading en direction de la capitale.
Le transfert de personnel est limité – moins de dix traders de la banque allemande sont en partance pour Paris à court terme. Mais les raisons de ce déplacement, exposées sans ambages par Fran(ck) Krings, le CEO allemand de Deutsche Bank pour l’Europe occidentale, sont tout de mêmes assez révélatrices : « la quasi-totalité de nos concurrents directs ont choisi Paris pour le credit trading… Il aurait été pour le moins curieux de nous positionner loin de nos principaux clients et de là où se trouve le vivier de talents. »
Voilà qui donne une perspective intéressante sur le travail à distance et l’importance du présentiel. Pour qui travaille en vente et trading, nul besoin impérieux de passer par les bureaux des clients, ou même de déjeuner, dîner ou prendre un verre avec eux en soirée. Reste toutefois que les traders sont une communauté ; et que si on ne vous voit jamais, alors peu importe la fréquence de vos contacts avec vos clients : vous ne serez jamais qu’une voix à l’autre bout du fil, et vous ne ferez pas partie de la « bande ».
La question du vivier de talents a sans doute joué un rôle encore plus important. Si tous les traders expérimentés vivent à Paris, et n’ont aucune envie de se relocaliser, tout trading desk ailleurs que dans la capitale aura du mal face à la concurrence. L’absence de Deutsche Bank sur ce terrain multiplierait ses problèmes de management ; elle continuerai de perdre du monde au profit des banques installées à Paris, et il pourrait s’avérer dix fois plus difficile de pourvoir le moindre poste vacant.
Mais alors, pourquoi le vivier de talents est-il à Paris ? Il y a bien une réponse, aussi superficielle qu’évidente, mais pas sûr que ce soit la bonne. Les décisions en matière de banque d’investissement mondiale ne sont pas prises juste pour le plaisir des employés, et encore moins pour leur désir de se sentir bien.
Le fait est tout simplement que Paris a gagné parce qu’elle est aujourd’hui l’un des principaux acteurs sur les marchés concernés ; « Mainhattan » a eu son heure de gloire, mais cela remonte à l’époque où Dresdner Bank et Commerzbank détenaient de grandes franchises de trading. Francfort n’est plus aujourd’hui que le siège de Deutsche Bank, une structure plus modeste comparée à BNP Paribas, SocGen et Crédit Agricole à Paris. Ce qui attire réellement les banquiers d’investissement et les traders vers une ville, ce sont les gens comme eux.
