Eisler Capital et la question de l’infrastructure des hedge funds
Si vous êtes gestionnaire de portefeuille en pleine réflexion sur le hedge fund pour lequel travailler, vous savez sans doute déjà qu’il n’est pas question que de rémunération ou de culture. L’infrastructure est un élément différenciant essentiel, surtout en trading systématique.
Pourtant, l’infrastructure d’un hedge fund est coûteuse. Les méga fonds comme Millennium et Citadel ont consenti d’énormes investissements pour leurs tech stacks, peuplées d’excellents développeurs de toutes sortes. Pour les fonds de moindre envergure, il est difficile de suivre le rythme.
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Comme nous l’évoquions le mois dernier, certains chez Schonfeld se plaignent de la technologie – un vrai problème pour le fonds en difficulté. « Si j’avais su à quel point la technologie était dépassée, je ne serais peut-être pas venu, » confie l’un d’eux. Certains de ceux partis récemment d’Eisler Capital font état de récriminations comparables.
« L’infrastructure est un énorme problème, » raconte un gestionnaire de portefeuille quantitatif qui a quitté Eisler cette année. « Quand on lance un pod ici, c’est très difficile d’obtenir des ressources suffisantes en ingénierie logicielle. » Un ancien stratégiste du fonds prétend même qu’Eisler à un très long chemin à faire avant de pouvoir concurrencer certains fonds quantitatifs purs et durs.
C’est une accusation que réfute Chris Milner, COO d’Eisler. « Nous sommes une entreprise qui repose sur la technologie et qui s’est montrée responsable et méthodique en matière de décisions depuis ses débuts, » nous explique-t-il avant d’ajouter : « cela fait huit ans que nous construisons notre système. »
Ce désaccord met en lumière les approches diverses des hedge funds en matière de technologie, et jusqu’à quel point le coût de la technologie peut peser sur le pnl et la rémunération des gestionnaires de portefeuille. Chez Citadel par exemple, la technologie et l’analyse ont la réputation d’être relativement centralisées. Millennium dispose d’une plateforme technologique centrale, avec plus de 1 200 personnes en son sein, dont un grand nombre travaillent avec les gestionnaires de portefeuille pour développer des solutions sur mesure.
Selon Chris Milner, Eisler a adopté une approche centralisée. « Nous avons une tech stack centralisée et lorsque nous allouons des ressources en stratégie à nos gestionnaires de portefeuille, nous cherchons à améliorer la tech stack de façon à ce que cela devienne un bien commun, » dit-il. « Cela nous paraît sensé, car il y a d’énormes recoupements entre ce que veulent les gestionnaires de portefeuille, avec quelques nuances à la marge. » À titre de comparaison, avoir une tech stack autonome peut conduire à une qualité de produit inférieure, poursuit-il. Les huit ans pendant lesquels Eisler a développé sa technologie représentent plus de 400 années de travail de strat sur ce système.
L’équipe de stratégistes d’Eisler est dirigée par Sam Wisnia, l’ancien partner de Goldman-Sachs, certes brillant mais parfois difficile, qui inspire une extrême loyauté à certains et de terribles récriminations à d’autres. Il semble que ce soit Angelo Haritsis, ex-MD de Goldman-Sachs, qui dirige pour sa part l’équipe infrastructure d’Eisler sous la férule de Sam Wisnia.
Pour certains gestionnaires de portefeuille partis de chez Eisler, il est très difficile de se voir allouer des ressources en infrastructure par Sam Wisnia ou Angelo Haritsis. « Eisler développe des outils et une infrastructure interne via l’équipe de stratégistes, qui ne sont pas payés directement par les gestionnaires de portefeuille, » raconte l’un d’eux. « - Pour avoir du temps de strat, il faut remplir un formulaire, qui sera classé par ordre de priorité et ajouté à une liste de tâches, qui ne sera peut-être jamais terminée parce qu’ils sont déjà occupés à autre chose pour les plus grosses équipes. »
Pour un autre ancien gestionnaire de portefeuille quantitatif chez Eisler, l’approche manque de flexibilité : « les strats ne pensent que d’une certaine façon et s’y tiennent pour essayer de mettre des choses en place, mais certaines personnes ont besoin de plus de support de l’équipe tech pour faire les choses qu’elles veulent mettre au point. »
Le modèle centralisé fonctionne, mais pas pour le trading systématique, argue un autre ancien gestionnaire de portefeuille. « Les gestionnaires de portefeuille systématique n’ont pas besoin d’un bout de code par-ci par-là, ils ont besoin de l’engagement à 100% de plusieurs ingénieurs logiciel, qui suivent activement le système pour l’améliorer au jour le jour, » explique-t-il. « Le trading systématique ne fait en général intervenir que très peu l’humain, contrairement aux traders discrétionnaires ; il lui faut donc des systèmes dans lesquels les traders peuvent vraiment avoir confiance, parce que c’est leur carrière qui en dépend. Comment un gestionnaire de portefeuille systématique peut-il faire confiance à un stratégiste déconnecté du PnL généré par son code, donc sans motivation financière ? »
Compte tenu de la centralisation de la technologie chez d’autres fonds qui réussissent, cela peut être injuste. Eisler Capital est connu pour générer de solides rendements, et Chris Milner laisse entendre que les critiques n’ont d’autres sources que la rancœur de gestionnaires de portefeuille qui n’avaient pas obtenu de ressources pour une bonne raison. « Il nous arrive parfois de décider que le retour sur investissement suite à l’allocation de ressources strat n’est pas suffisant. C’est une décision commerciale et cela varie selon les cas. »
Selon d’autres sources chez Eisler, le fonds développe sa plateforme technologique. Il emploie environ 70 strats et a embauché en juillet David Ainsworth, en provenance de G Research, au poste de responsable de l’ingénierie des données. Alexander Alekseev, ancien gestionnaire de portefeuille senior chez Millennium, serait également en passe de monter un pod centré sur les actions systématiques. Eisler Capital serait en train de construire un nouveau centre de données à faible latence pour son usage propre. L’information n’a pas été confirmée par le fonds.